Vous le saviez, ça ? Non? Normal! Vous avez peut-être entendu dire que c'était la semaine du handicap au travail, mais il faut savoir que tout est mis en bloc autour de Thanksgiving (soyez
reconnaissants les gens!), histoire que ce genre de thème glauque ne pourrisse pas votre été (parce qu'il y a des nouvelles qui sont plus faciles à apprendre l'été qu'à Noël, hein Anne, ma copine
Anne à qui la généticienne a dit que c'était plus dur d'annoncer à des parents que leur enfant est trisomique au moment de Noël qu'au mois d'août!!)
Bref, nous, les champions de la trisomie de notre bled, c'est à dire mon amoureux et ses copines, et moi quand j'ai envie, on s'investit, on se bat, on s'acharne, et depuis 2 ans, on a décidé que
la vente des brioches sur le marché le dimanche matin, c'était pas notre truc, parce que en novembre, il caille, en plus on n'aime pas se lever tôt le dimanche matin, on a une vie sociale, merde,
et puis on aime nos enfants mais on n'est pas prêts à perdre des doigts de gelure pour eux. Donc, c'est la deuxième année que pour la journée nationale, au lieu de vendre des brioches, on
organise un concert de "wock'n woll". Ca fait djeun's, ça nous aide à dépoussiérer l'image de la trisomie et de ses gamins en pull rayé avec la coupe de Mireille Matthieu, et au moins, comme dit
mon amoureux, c'est en intérieur. Parce que nous notre première journée nationale après la naissance d'El, on a fait une promenade en forêt.... sous la pluie..... par 4°.... avec un bébé qui
venait de se faire opérer du coeur...... et des gens tristes. Mon père a appelé ça la "battue aus trisos" et c'est resté.... oui, vous pouvez voir que mon humour subtil n'est pas le fruit du
hasard mais bien d'une dégénérescence héréditaire.
Parler de la trisomie en 2010 n'est pas forcément chose facile. Les campagnes télé nécessitent des gens beaux et qui articulent (sauf pour les opérateurs téléphoniques, va savoir!) et les campagnes d'affichage sont inégalement réussies. Peut-être vous souvenez-vous
de celle-ci qui nous faisait hurler de rire il y a 20 ans quand nos copains de fac l'avait accrochée dans leur appart d'étudiants, naïfs que nous étions.
Donc hier, concert.
Ben c'était super! J'adore voir les gens se mobiliser autour de nous, se faire plaisir en soutenant une bonne cause, retrouver des copains perdus de vue depuis des années et boire des bières en
devisant gaiement tout en écoutant de la bonne musique qui te fait bouger ton boule!
Merci encore à ceux qui étaient là, aux musiciens qui ont fait don de leur temps, de leur personne, et de la vente de leurs CDs (enfin, ceux-là se reconnaîtront!), le personnel adorable de la
salle (Karine, clap clap clap, Karine, clap clap clap!!!), et tous ceux que j'oublie (en même temps, sur un blog anonyme, ça se voit moins!)
Parallèlement au concert, on s'est fait plaisir en tenant un petit coin de librairie pour présenter une variété d'ouvrages autour du handicap. Et comme j'ai passé la soirée devant, forcément, à
un moment, j'ai craqué!
Voici mes achats de la soirée:
Je vous en parlerai quand je l'aurai lu, mais il paraît que c'est bien. Faut juste que du coup j'oublie que Cricri, c'est la tata de Raphaëlle Ricci et la belle-soeur de Laurent Boyer,
parce que TF1 et RTL réunis, ça me me pique un peu... ça va passer!
Pareil, je vous en parlerai quand je l'aurai lu, c'est le témoignage de la maman d'un grand ado.
Je vais vous parler des deux que j'ai lus ce matin, sachant que je me suis couchée à trois heures, que TOUS mes copains ont insisté vraiment beaucoup beaucoup pour me payer des bières, et que je
me suis levée à 9h. J'étais donc motivée, motivée.
J'ai attaqué par un roman graphique espagnol, en me disant qu'il y aurait moins de texte!
Cris et Miguel sont tous les deux auteurs de BD et c'est tout naturellement quand leur fille Laïa est née qu'ils ont écrit ce roman à deux voix pour parler de leur souffrance, de leur désespoir
et de leur retour dans la vie. Laïa est née avec une pathologie rarissime où un déficit de protéine a causé dès la naissance des hémorragies cérébrales, convulsions et crises d'épilepsie qui ont
entraîné une forme grave de retard moteur et cognitif. Le livre raconte leur combat au quotidien pour survivre à l'hôpital, où tout varie selon l'équipe en fonction, les médecins pleins de
compassion ou de lâcheté, les proches qui soutiennent plus que tout, et le bonheur fou de voir avancer cette enfant qui n'aurait pas du survivre. Le propos est très bien servi par un dessin noir
au trait franc et brut, où parfois le noir envahit les pages comme le désespoir envahit ses auteurs. Bon bouquin, vraiment, un témoignage honnête et bien ficelé.
Puis en buvant mon douzième thé vert de la matinée, j'ai attaqué le deuxième moins épais de la pile. Et là, le choc. Je l'ai lu en une heure, inconfortablement installée sur une chaise de
cuisine, laissant les pages doucement virer au Spontex en absorbant les litres de larmes que j'ai versé dessus en le lisant.
Ce livre offre un développement assez inédit sur le sujet qui nous intéresse puisque au lieu de parler de la douleur d'avoir un enfant trisomique, il parle de la douleur de ne pas en avoir. En
effet, Sylviane Scovino a subi une interruption médicale de grossesse à la suite du dépistage d'une trisomie chez le petit garçon qu'elle attendait. Finalement, c'est cet avortement qui la
détruit à petit feu, la coupe de sa vie, de sa famille et de son bonheur pendant des années. Ce livre explique les événements tels qu'elles les a vécus et aussi ce qu'elle a traversé pour réussir
plus ou moins à s'en sortir. Ce que j'ai aimé, c'est qu'elle a su éviter les écueils que je craignais fortement : il n'y a aucune réflexion ou jugement éthique, moral ou religieux sur sa
décision. Elle raconte les choses telles qu'elle les a vécues et ressenties.
Je pense que ce livre a eu un retentissement violent en moi car il a confirmé ce que je supposais depuis longtemps: je suis mieux avec El que sans El. Je crois que si j'avais eu le choix ET
choisi une IMG, je me serais noyée dans le champ des possibles. Quand je suis enfin tombée enceinte de Tornado après des années de fausse-couches et d'essais infructueux, nous avons choisi
l'amniocentèse en annonçant d'un air bravache qu'il n'y avait pas marqué educ spé, là, ho, et qu'on n'avait pas l'intention de monter un IME à la maison donc que si Tornado avait un pet de
travers, zou, poubelle. en fait, tout ce qu'on voulait, c'est ce qu'on n'a pas eu pour El: un choix, un semblant de reprise de main sur le destin, l'impression de pouvoir un petit peu maîtriser
les choses. Mais l'aurait-on vraiment fait? Franchement j'en doute. Et ce n'est pas le commentaire larmoyant attendri d'une mère objectivement subjective devant ses merveilleux enfants: la
différence entre El à la naissance, les perspectives que l'on nous présentait pour elle, et la petite fille têtue, frondeuse avec son teint de porcelaine et sa moue boudeuse quand elle
refuse de faire ses devoirs parce qu'elle veut regarder Toy Story avec sa soeur, cette différence est abyssale.
Et sans doute mangeons-nous notre pain blanc en ces années d'insouciance relative, mais bon sang, on le déguste et on le savoure, c'est certain!